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Mort de Charles Juliet, écrivain de l’intime

Charles Juliet, poète et auteur d’un monumental journal, est mort à Lyon, vendredi 26 juillet, à l’âge de 89 ans. L’œuvre de cet écrivain de l’intime ne s’est pourtant jamais limitée à décrire les errements du moi et les petits désastres de l’existence. S’il a beaucoup écrit sur sa difficulté d’être, cette introspection n’a jamais été une fin en soi. Pour Juliet, la souffrance est un état qui doit être dépassé. « J’ai eu ce besoin impératif de me connaître pour résoudre mes problèmes, dépasser mes entraves, et découvrir l’être humain en général », expliquait-il au Monde. Cette douleur a une origine lointaine dans la vie de l’écrivain.
Charles Juliet, né le 30 septembre  1934 à Jujurieux (Ain), est le quatrième enfant d’un couple modeste. A 1 mois, l’enfant est séparé de sa mère, suicidaire et internée dans un hôpital psychiatrique. Délaissé par son père, il sera placé dans une famille d’accueil, qui l’adoptera. Toute l’œuvre de Charles Juliet sera marquée par cet arrachement à la mère. Dans son récit L’Année de l’éveil (P.O.L, 1989), il racontera comment il a pu surmonter ce drame primitif pour enfin « laisser son cœur se débrider ». Lors d’un entretien au Monde en décembre 2017, Charles Juliet évoqua de nouveau cette séparation tragique en des termes radicaux : « Ce fut comme si j’avais été coupé en deux. »
L’écriture a-t-elle le pouvoir de reconstruire un homme ? Soigner une existence ? A 12 ans, il entre dans une école militaire, dont il ressortira à 20 ans pour être admis à l’Ecole de santé militaire de Lyon. C’est en 1949 qu’il commence à tenir son journal. Charles Juliet a 15 ans. De ces années d’écriture, il ne reste que quelques pages. Quand on lui demandait ce qu’il en pensait soixante-dix ans après, Charles ­Juliet demeurait évasif. « Ce sont des notes bien écrites, mais qui ne racontaient pas grand-chose. Si j’avais vraiment osé écrire, je n’aurais pas été capable de rendre compte de ce que je vivais. Je n’avais pas encore accès à mon univers intérieur. »
A 33 ans, alors qu’il n’a encore rien publié et a abandonné ses études pour se consacrer exclusivement à sa recherche artistique, Charles ­Juliet rencontre Samuel Beckett, sur les conseils du peintre Bram van Velde. Fasciné par l’auteur d’En attendant Godot (Minuit, 1952), il s’entretiendra plusieurs fois avec lui à son domicile, à Paris. Dans le livre qu’il lui consacre (Rencontre avec Samuel Beckett, P.O.L, 1999), on peut lire cette phrase : « Curieuse idée, pensé-je, que de venir interroger celui qui n’est qu’interrogation. » En 1969, Beckett, tant vénéré par Juliet, lui écrira une lettre cinglante, destinée, sans doute, à bousculer l’apprenti écrivain. « Lu et relu vos poèmes et vos lettres je ne trouve rien à vous dire sinon que je m’incline devant cette grande détresse (…). Bon courage, cher Charles ­Juliet, éloignez-vous et de mon travail et de vous-même. »
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